POUR COMMENCER
Écrire a toujours été une évidence. Écrire ou plutôt trouver les mots, car parler a toujours été une évidence également (en français en tous cas...). Plus particulièrement poser des mots sur deux univers qui nourrissent mon quotidien depuis l’enfance : les émotions & les sensations.
Ce monde de ressenti qui nous apparaît avec clarté en interne n’est pas véritablement conçu à la base pour en sortir un jour. Trouver le moyen de l’incarner est une quête, quelque soit le vecteur choisi, principalement la musique mais aussi bien souvent le verbe.
J'aime tenter d'exprimer l'ineffable dans des tournures plus ou moins littéraires, souvent imagées, quelquefois métaphoriques, parfois franchement alambiquées… avec plus ou moins de succès, de bon goût et d'à-propos.
Rendre visible l'invisible, rendre palpable l'indicible, retranscrire l'intimité de nos vécus par les mots, c'est finalement pouvoir communiquer à d'autres ce qui est sensé n'appartenir qu'à nous.
Dès lors, avec la conscience aiguë que communiquer c'est partager, cette volonté d’extérioriser l'interne est la base de ce qui guide ma vie depuis si longtemps : enseigner.
L’expérience, par définition, est quelque-chose qui se vit mais ne se partage pas. Néanmoins, communiquer par le discours sur les émotions, c’est donner à l’étudiant de nouvelles perspectives, lui montrer qu’il n’est pas seul et l’inviter, voire l’inciter, à provoquer et vivre pleinement ses propres expériences émotionnelles.
De même, décrire avec précision les mécanismes subtiles des sensations internes, c’est tenter de déclencher chez l’autre de nouvelles connections, d’amener à sa conscience des zones inexplorées et des processus ignorés de son propre corps.
La maîtrise d'un instrument de musique est d'abord un geste technique dont les bases se transmettent par l'externe. Le socle commun des premières années d'apprentissage fonctionne à peu près de manière standardisée pour tout un chacun. Très vite cependant, l'humain vient interférer dans l’appropriation de l'outil et les spécificités de chaque individu, sa morphologie, son mental, son énergie, ses émotions, ses goûts, sa créativité, son humeur du moment, ses histoires personnelles voire familiales, viennent façonner de manière différenciée un geste qui relevait jusqu'alors de la simple conformité technique.
C'est lorsque la machine s'emballe, lorsque l'être-musicien réclame son indépendance et clame ouvertement et consciemment sa volonté d'autonomie que j'interviens. Depuis 24 ans au Conservatoire de Lyon, mes étudiants ont toujours eu entre 16 et 28 ans. Ils sont dans cette période bénie durant laquelle la construction du jeune adulte est à son comble d'intensité. Ils sortent tout juste d'un monde où l'enseignant est source d'énergie, pour entrer dans un autre où ils vont devoir trouver en eux seuls, le carburant de leur progression. Pour les pratiquants d'arts martiaux, il s'agirait d'accompagner les étudiants de l'étape du Ha vers l'étape du Ri dans la logique du fameux Shu-ha-ri (shu : protéger la tradition ; ha : s'en séparer ; ri : la transgresser, et pour les meilleurs, la transcender).
Les pages qui suivent sont quelques pistes de réflexions qui agrémentent régulièrement mes cours. Elles tentent toujours de donner de l'inspiration aux jeunes, venus me confier leur envol.
Puissent-ils être remerciés de leur patiente écoute.
Puis-je être pardonné de ma présomptueuse entreprise.
LE SON
1 - RECHERCHER LA MAÎTRISE
2 - L'HERITAGE
3 - UN SON, CHACUN LE SIEN
4 - UNE VOIX, UN SON
5 – S'EXPRIMER (entendre – ressentir – extérioriser – communiquer)
1 - RECHERCHER LA MAÎTRISE
Le travail sur le son classique commence invariablement par l'édiction de 3 principes fondamentaux (voir « un saxophone contemporain ») :
- avoir un son pur sur toute la tessiture,
- stable dans tous les changements dynamiques et
- homogène sur tous les registres.
La pureté implique elle-même 3 recherches : pas de souffle, pas d’eau, pas de parasite métallique.
L’homogénéité également : homogénéité de timbre, de nuance, d’intonation.
Ré médium – Do#, par exemple, cristallise les 3 défis d’homogénéité à résoudre : ré trop plein/do# trop creux ; ré trop fort, do# trop faible, ré trop haut/do# trop bas… Bonne chance ;-) !
Une fois cela dit, travaillé et assimilé, peut-on dire que le son est bon ? Pas encore, loin de là. Techniquement, on peux dire que le son est maîtrisé. Il est bon pour être exploité musicalement, l'outil est prêt… mais rien, absolument rien n'est encore fait ! A ce stade pourtant avancé de la maîtrise instrumentale, le jeu peut être considéré comme « propre », c’est bien, cela a demandé de nombreuses années de pratique, bravo… mais soyons sérieux, un jeu propre, en soi, ce n’est absolument rien. Rien…
Personne ne tombe amoureux d’une jeune fille parce qu’elle est… « propre » ! Personne ne retourne dans un restaurant parce qu’il est... « propre » ! Le son lui-même demande beaucoup beaucoup plus que le simple contrôle technique des contraintes énumérées ci-dessus.
Alors bien sûr, ces contraintes imposent une telle discipline, une telle recherche et une telle quantité de travail, que celui qui arrive à les contrôler est enfin apte à choisir « son » son. De fait, cette aventure technique l'aura intrinsèquement aidé à grandir. Et bien sûr, l'évolution n'est jamais aussi « chronologique » (maîtrise puis recherche), la voie qui mène au bon son étant un tout en soi, qui se modèle, se découvre et se construit sur le long terme. Comme chacun sait, « le but du voyage, c'est le voyage » et c'est bien l'évolution induite par la recherche technique de haut niveau qui va aboutir à la découverte du bon son.
C'est donc sur la base commune de cette triple contrainte que les jeunes apprentis vont commencer à tracer la voie qui leur est propre. Suivant le principe du « qui peut le plus peut le moins » : qui maîtrise un son pur peut chercher à obtenir un son sale, qui maîtrise un son stable peut chercher à obtenir un son fluctuant, qui maîtrise un son homogène peut chercher à obtenir un son hétérogène.
Car enfin, Stan Getz avait-il un son pur ? Non. Et pourtant quel son magnifique !
Callas avait-elle toujours la voix la plus stable ? Non. Et pourtant quelle émotion palpable !
Rostropovitch avait-il le son le plus homogène ? Non. Et pourtant quelle profondeur d'expression !
Notons que le fait de s'astreindre à un contrôle total avant de digresser relève bien d'un choix pédagogique et non d'une vérité en soi. On peut tout aussi bien prendre le pari du développement personnel sans pré-requis. C'est cependant une logique qui ne colle pas (à mon humble avis) à l'esprit français. Le plaisir de disséquer afin de comprendre pour mieux contrôler est inscrit dans nos gènes. C'est la condition qui permet in fine de véritablement avoir le choix… quitte à renier l'intégralité de ce que l'on a construit, mais au moins, le faire en connaissance de cause ! « Je peux le faire, mais je choisis une autre voie ». Cette contrainte, parfois douloureuse, souvent castratrice, est bien le prix de notre liberté.
Pour l'enseignant, le tout est d'arriver à capter le moment où il y a risque de formatage avec point de non-retour, cet instant délicat à partir duquel il faut lâcher du leste quant aux conventions et commencer à laisser l'alchimie tradition commune/innovation individuelle prendre sa place. Un savant mélange d'acquis, de modélisation, d'inspiration et d'audace.
« Plus l'art est contrôlé, limité, travaillé, et plus il est libre » (I.Stravinsky)
2 – L'HERITAGE
Nombreux sont nos anciens professeurs qui vivaient dans un fantasme suivant lequel le saxophone serait véritablement un instrument classique comme les autres, le jour où il aurait intégré l’orchestre. En prononçant le mot « orchestre », ils parlaient exclusivement de l’orchestre symphonique dans sa forme héritée du XIXème siècle. Celui des symphonies et des concertos. Mais Brahms est mort ! (désolé pour cette annonce brutale si certains l’apprennent en lisant ces lignes… ). Il n’y a pas de saxophone dans les symphonies de Tchaïkovski et il n’y en aura jamais. Ite missa est.
Cette mise au point historique est importante, car le dictât de l’orchestre dans la conscience collective comme étant LA référence de la grande musique, eut une influence fondamentale sur les objectifs fixés durant des décennies en terme de son.
Dans cette perspective, deux questions essentielles cohabitent :
Quelle est la place d’un son personnel dans une formation qui cherche avant toute chose l’unité collective ?
Quel est le rôle dédié aux instruments à vent dans l’orchestre du XIXème siècle ?
A la première question je répondrais volontiers que la recherche d'un son personnel est à l'opposé d'une recherche de son d'orchestre. Il ne s'agit pas d'un jugement lapidaire bien sûr, l'idéal de l'orchestre, comme le travail d'un choeur pour les chanteurs aboutit à une forme merveilleusement aboutie de « vivre ensemble » ; mais il faut simplement bien avoir à la conscience que le son recherché est un travail de groupe, une réussite d'équipe dans laquelle l'individu doit être au service du collectif. On sait par exemple, que certains orchestres vont jusqu'à préconiser des instruments similaires afin d'avoir une parfaite parenté de son au sein d'un pupitre. Dès lors, même si la modélisation se fait dès le recrutement, dans le choix même d'un musicien qui colle « à priori » au futur son souhaité, on peut légitimement se poser la question de la capacité offerte à cet artiste d'orchestre à se différencier, et surtout aux perspectives personnelles qui lui seront laissées quant à l'évolution de son jeu.
A l'extrême, afin de nourrir la réflexion, il est toujours intéressant d'évoquer par exemple, les critères de recrutement de la Philharmonie de Vienne, qui eut beaucoup de mal quant à l'intégration des femmes pour des raisons (prétendues) d'homogénéité et de tradition… à partir de quand le fait de créer un moule chez les interprètes est-il un frein à la qualité de l'art, quand bien même il serait une condition, radicale soit mais efficace, à la cohérence de la réalisation technique ? (je ramasse les copies dans 5 heures… ).
Je me bats donc, par idéal de liberté (tradition française assumée il faut bien le dire) pour l'individualisation du jeu instrumental, littéralement 1 individu = 1 type de jeu. Dans la mission qui est la mienne, et qui est fortement orientée vers la formation de solistes, ma démarche est compréhensible. Il n'en serait naturellement pas de même si j'enseignais la musique de chambre et/ou les métiers d'orchestre… quoique (voir plus loin, les « concours »)
A la deuxième question, je répondrais en compositeur, que l'héritage de l'orchestre qui nous est transmis dans les techniques d'orchestration, si on les cultive telles quelles sans les faire évoluer, sont très très réductrices. D'une manière relativement caricaturale (j'avoue) je dirais que si vous voulez du champêtre, vous mettez du hautbois. Si vous voulez de l'aérien, mettez de la flûte. Du nostalgique de la clarinette, du martial des trompettes, de la noblesse du cor, du burlesque du basson, de l'exotique du saxophone. Par contre, si vous voulez de l'expressif… alors là il faut utiliser les cordes !
C'est sans nul doute sur ce dernier point précis de l'expression que je me bats avec le plus d'énergie.
Je refuse catégoriquement d'être une potiche de salon assignée à un rôle vaguement décoratif. Le « soit belle et tais-toi » me répugne (vous me direz que la nature ne m'en as pas donné les moyens, merci de votre perspicacité).
J'aime défier les cordes sur leur propre terrain. Le son doit être capable de véhiculer toutes les nuances de l'âme humaine. C'est en ce sens que le travail du son ne peut se réduire à une couleur d'orchestre définie par l'instrument lui-même, indépendamment de celui qui le joue. Le saxophone a ce pouvoir de dire, de raconter, de nous définir en tant qu'être complexe. Dans son étymologie même (la voix d'Adolphe Sax) il peut prétendre être l'outil d'incarnation de qui nous sommes au plus profond de nous-même. Il a ce pouvoir d'être un outil polymorphe qui nous donne l'opportunité de nous exprimer en tant que Monsieur X ou Madame Y et pas seulement en tant que « saxophoniste » comme on peut être à l'orchestre et ce de manière impersonnelle «le clarinettiste » ou « la flûtiste » (plutôt jolie la flûtiste en général… ).
Bien heureusement, aucun saxophoniste n'est « condamné » à être exclusivement musicien d'orchestre (ce serait même compliqué !), mais les trajectoires de son guidées par cet idéal ont limité pendant longtemps, les identités sonores jugées « acceptables » dans notre petit monde de saxophoniste classique.
En résumé, qu'est-ce qu'un bon son ? (de mon point de vue s'entend)
Un bon son est avant tout un son qui permette :
1/ d'être reconnu immédiatement en tant qu'individu, c'est la question de l'identité.
2/ de communiquer une émotion personnelle, c'est la question de l'expression.
3- UN SON, CHACUN LE SIEN
Afin d'éviter tout malentendu, il est d'abord important de différencier d'emblée le bon son du beau son. Le beau son a des qualités purement esthétiques, voire cosmétiques (!) qui représentent pour moi une composante relativement faible (et surtout rare) de ce que le son est dans son intégralité. Ces qualités sont parfaitement comparables aux critères de beauté humaine. Elle est très belle ? tant mieux pour elle. Je suis laid ?... Pas de chance. Ni plus, ni moins.
Pourtant, le fait d'être beau ou laid ne dit rien sur nos caractères respectifs, rien sur notre valeur réelle, humaine ou artistique, et encore moins sur notre capacité à créer et exprimer des choses intéressantes et touchantes.
Le « beau son », celui que l'on remarque plus facilement chez un cor que chez un basson, chez un hautbois que chez une flûte (désolé les amis) est une chance, une pépite qui crée une émotion et un plaisir évident… mais je ne crois malheureusement pas que l'on puisse l'acquérir par le travail (je parle bien des sons d'exception qui charment l'oreille dès la première seconde comme une beauté fatale attire l’œil au premier regard).
L'enveloppe du son est avant tout une marque de fabrique. Ses qualités esthétiques, différentes suivant les personnes, sont quasiment innées. Le but n'est donc pas de se maquiller ou de se travestir pour « ressembler à », mais bien d'apprendre à assumer, aimer et revendiquer pleinement ce son qui est notre, ce son qui nous caractérise, de fait.
« On joue comme on est ». Cet adage qui paraît simpliste n'est pas un postulat de départ, malheureusement. C'est au contraire un objectif, c'est même l'objectif ultime devrais-je dire. Il peut demander la recherche d'une vie pour se réaliser, avant que l'artiste puisse être à 100 % en phase avec le son qu'il génère.
J'aime prendre en exemple 2 de mes aînés, devenus des amis sincères depuis longtemps, qui sont des artistes de référence dans le monde du saxophone classique : Claude Delangle et Jean-Yves Fourmeau.
Claude a un son qui vous transperce, Jean-Yves un son qui vous enveloppe.
Ils cristallisent à eux 2 des optiques diamétralement opposées de ce qu'est un bon son.
Je me permets ici de les citer nommément car je sais que la mise en perspective de leurs identités est toujours source d'enseignement pour les plus jeunes, nourris qu'ils ont été à force de fantasmes quant à la suprématie de leur champion, l'artiste Selmer pour les uns, l'artiste Yamaha pour les autres.
Il est en fait un niveau de carrière, indépendamment même de l'âge, à partir duquel la comparaison n'a plus lieu d'être. Quand des pratiquants de leur niveau ont trouvé leur manière d'exister à travers leur art, la distribution de bons et de mauvais points est complètement vaine. Ils ne sont plus comparables car ils assument pleinement leurs différences. C'est la marque des grands artistes. C'est donc la conscience tranquille que je vais disséquer leur approche du son, à des fins non pas qualitatives, mais bien pédagogiques.
Jean-Yves a choisi Yamaha, c'est un instrument coloré, réputé pour sa chaleur.
Claude a choisi Selmer. C'est un instrument plein, réputé pour sa profondeur.
Jean-Yves donne la priorité à la rondeur du son. L'espace périphérique nourrit le cœur.
Claude donne la priorité au centre du son. Le cœur rayonne vers l'espace périphérique.
Dans les 2 cas, le centre nous donne le sens et la périphérie assure le bien-être.
Dans les 2 cas, avec 2 conceptions différentes, le son est en bonne santé.
La périphérie sans le centre au cœur donnerait un son creux et vide.
Le centre sans espace autour donnerait un son sec et triste.
On comprend dès lors qu'une imitation approximative et surtout partielle de ces 2 modèles puisse aboutir, chez des étudiants moins doués que les originaux, à des résultats médiocres (tout comme le vibrato de Mule, copié tel quel sans le brio légendaire de l'original, a fait sonner ridiculement de nombreux imitateurs… ).
Pour qui connait les deux artistes, il est évident également que leurs sons respectifs leur ressemblent, dans leurs énergies respectives, dans leurs répertoires respectifs, jusque dans leurs physiques respectifs.
Ils sont leur son, leur son c'est eux. Voilà l'idéal qui doit guider la recherche des apprentis saxophonistes, voici ce qui doit guider le coaching des enseignants.
4 - UNE VOIX, UN SON
Un parallèle avec la voix humaine peut grandement aider l'artiste dans sa quête d'identité sonore. On ne la choisit pas à la naissance. Elle est ce qu'elle est. Par contre, elle est unique donc éminemment précieuse.
Elle est tout sauf anodine car elle permet instantanément de vous identifier. Quand votre mère vous appelle au téléphone, que vous décrochez et qu'elle vous dit « allô », vous ne demandez pas qui est au bout du fil ! Chacun sait que pour le son, c'est le même processus. Nul besoin de demander « qui joue ? » lorsque vous écoutez un disque de Bird ou de Marcel Mule.
Personne ne naît avec un saxophone dans la bouche bien sûr (ou alors vos parents sont sacrément tordus… ), mais le projet est bien in fine de jouer comme on parle, suivant l'expression consacrée, de jouer « comme on respire ». Ce naturel est de mon point de vue, la véritable quête du son.
Dès lors, comme on s'accroche à la voix rauque d'un Louis Armstrong, il faut apprendre à accepter les sons enraillés. Comme on admire le timbre nasal d'une Billy Holiday il faut apprendre à se délecter d'un placement plus haut qu'à l'accoutumée. Le tout est juste d'accéder à un timbre suffisamment proche de ce que la nature vous a offert pour pouvoir vous y reconnaître et donc, vous y sentir bien.
Il est rassurant de noter que les chanteurs font de même. La voix n'est pas programmée dès la naissance pour remplir des salles de concerts. L'objectif est bien de retrouver l'identité sonore d'origine, mais dans le contexte exceptionnel que représente la projection de la voix lyrique. Le son instrumental doit suivre cette même logique.
On comprend dès lors que ce qu'on appelle communément « le son » est en fait une combinaison de différents paramètres qui englobe le timbre proprement dit, mais également l'articulation, la respiration et le phrasé, l'énergie et plus globalement l'identité même de la personne qui incarne ce son.
En poussant plus loin la recherche, j'aime à différencier l'enseignement donné aux étudiants des différents pays. Les langues portent en elles une part non négligeable de nos identités culturelles. L'idée d'imposer une technique de son qui aurait pour source unique et exclusive l'articulation, la diction voire la syntaxe française, serait une perte inestimable.
Le travail de l'enseignant sera donc d'aider à cultiver un timbre, une articulation, une dynamique qui se rapproche le plus des voix parlées et chantées. Ce en conservant l'accent d'origine, ainsi que l'histoire des peuples qui s'en dégage. J'aime quand mes étudiants étrangers parlent français, je peux alors mesurer pleinement ce qui différencie leur résonance interne de la mienne. Nous savons tous le charme incommensurable qui se dégage d'une langue correctement maîtrisée (plus ou moins) mais tintée d'un soupçon d'exotisme qui trahit une langue non maternelle (et je ne parle pas que de Monica Bellucci… ). Le son doit absolument conserver cette touche personnelle, cette signature symbole d'un héritage. Vouloir la gommer serait une erreur terrible de la part de l'enseignant, et un reniement destructeur pour l'étudiant en quête d'identité. Quel savoureux mélange qu'une japonaise qui joue de la musique américaine sur un saxophone français !
Je dis souvent à mes étudiants étrangers : "Apprenez le français pour jouer à la française" (non pas que cette fameuse « french touch » soit le graal, loin de là, mais quitte à étudier dans un pays, autant chercher à en comprendre la culture en profondeur). L'idée d'un saxophone qui parle est clairement née dans mon cœur et dans mes oreilles à l'écoute de Marcel Mule jouant Ibert et les tableaux de Provence. Quand je l'entends jouer, je l'entends parler. J'entends ma langue. En plus, j'entends le français tel qu'il était parlé avant ma naissance. Typiquement le style de voix, d'articulation, de diction, de résonance nasale (voire de technique d'enregistrement) qui nous replonge immédiatement dans la France de la seconde guerre mondiale et de l'après-guerre ("les français parlent aux français", "les carottes sont cuites"). La langue porte en elle une géographie (nationale, voire locale suivant les accents !) mais aussi une histoire clairement datable (toutes les générations ne parlent pas de la même manière).
Je ne peux m'empêcher de penser à mon propre père, fan d'opéra, qui fustigeait Debussy et Pelleas, en me disant: c'est n'importe quoi ! on a l'impression qu'ils parlent, ils pourraient dire "passe moi le sel" ou "tu veux du pain ?"... J'appris des années plus tard (au CNSM en histoire de la musique), qu'un des apports majeurs de Debussy fut précisément de faire coller son travail rythmique au plus près de la prosodie française. Mon père avait donc raison… par contre, lui percevait cela comme un appauvrissement, et non un bouleversement positif !
Comprendre sa langue c'est donc se comprendre soi-même. Aimer sa langue, c'est un pas vers l'acceptation, la connaissance et l'amour de qui l'on est. En tous cas c'est une aide précieuse, notamment pour le pédagogue qui prétend être un guide vers une expression artistique individualisée. Quelques « morceaux choisis » concernant les écoles nationales...
Une élève sud-américaine (colombienne) était incapable de prononcer un "T" franc et direct. Il y avait toujours un soupçon de Z juste avant. J'ai dû abdiquer et accepter un Ibert qui flirtait délicieusement avec l'articulation sensuelle de Stan Getz...
Un élève américain que je forçais à ne pas utiliser ses résonateurs nasals avait un son qui couinait tout le temps. J'ai compris trop tard qu'il ne faut jamais aller contre la langue d'origine, mais seulement s'harmoniser avec elle. Erreur pédagogique de mes débuts. Je lui demande encore pardon aujourd'hui.
Une étudiante japonaise jouait Tanada et voulant l'aider à trouver l'inspiration, je lui propose d'imaginer un film dont Mysterious morning pourrait être la bande originale. Je m'attendais naturellement à ce qu'elle m'annonce un film d'horreur bien gore. A ma grande surprise, elle me répond « un film d'amour ». Je lui dit mon étonnement et, marquant un temps de réflexion elle précise : « oui mais nous au Japon, on tue par amour... ». J'ai compris ce jour là que la notion de musique universelle est pédagogiquement un raccourci dangereux.
Depuis quelques années, à mon initiative, le concours d'entrée au CRR en saxophone a une épreuve supplémentaire : réciter un texte court au choix dans la langue du candidat (poème, texte, monologue etc). De l'avis de tous les jurés sans exception, cette épreuve est déterminante ! Des candidats qui font un concours juste correct en instrument sont des fois tellement brillants, habités et inspirés sur scène, qu'on les accepte, en espérant qu'ils arrivent à s'exprimer un jour de la même manière sur leur instrument. A contrario, certains candidats très convenables en instrument, sont tellement fades et transparents une fois nus sur la scène que l'on ne parie pas 1 centime sur eux.
5 - S'EXPRIMER
Bien plus important que « la sonorité » elle-même donc… ce que l'on met dedans.
Et dedans… on met de la musique. De la chaleur, de la passion, de l'amour et toutes les nuances de l'âme humaine !!! Le son (dans le sens « sonorité ») n'est qu'un transmetteur, un vecteur. Il n'est pas véritablement le cœur de notre démarche. Ce que l'on doit former, c'est celui qui joue ! Le son n'est qu'une conséquence, un témoin de la bonne santé (ou pas) de celui qui le produit.
Finalement arrive toujours cette épineuse question, peut-on former les gens à devenir musicien ?
…...............… J’ai la conviction absolue que oui !
En tous cas, disons que l’on peut réveiller le musicien qui est en chacun de nous et lui offrir la chance de s’exprimer au maximum de son potentiel.
Bien sûr, il faut s’entendre sur le terme « musicien »…
J’ai souvent avec mes « apprentis » 4 paliers à franchir sur le chemin de la dite « musicalité » :
1/entendre
2/ressentir
3/extérioriser
4/communiquer.
Entendre :
Former un étudiant à être musicien, c’est d’abord le former à l’écoute.
L’entraîner à entendre avec plus de précision, aiguiser son acuité, faire passer sa perception de la musique en mode Haute-Définition. Pour cela il faut lui ouvrir les oreilles sur les milles et une petites pépites que renferme un instant musical. Attirer son attention sur une respiration, un ralenti infime, une couleur à peine perceptible, une hésitation, une nuance de timbre ou de dynamique, une très légère inflexion rythmique bref… tout ce qui fait que la musique est vivante et habitée de l’intérieur. On est souvent surpris par le peu de recul qu’ont les étudiants sur leur propre jeu. Il est également étonnant qu’avec toutes les technologies bon marché auxquelles ils ont désormais accès (en commençant par leur simple téléphone portable), ils ne soient pas plus curieux voire avides de s’enregistrer pour écouter avec de la hauteur ce que cela donne. Bien souvent, les étudiants entendent peu ou partiellement car ils n’ont simplement pas été éduqués à le faire, ou en tous cas, pas avec un degré de sensibilité suffisant. Leur « vision acoustique » est très souvent beaucoup trop globale. Il écoutent « en gros », sans véritablement se concentrer, sans chercher une immersion totale dans l’intimité du langage musical. Qui prend encore le temps de se poser dans son canapé et d’écouter un disque sur une authentique chaine hi-fi ? ...
J’aime la métaphore de la haute définition liée à la qualité de l’image. La haute définition signifie que si vous zoomez sur un détail, la qualité de la résolution reste optimum, pas de flou, pas de pixellisation, tout reste net et précis. Une écoute en haute définition suit le même procédé. Le musicien classique professionnel doit entendre des choses que le commun des mortels n’entend pas. Il doit percevoir des détails et des variations qui sont bien plus subtils que ce qu’une oreille non entrainée peut capter. Dès lors, cette foule d’informations est amenée à la conscience. Et c’est bien le but de cette première étape dans l’apprentissage du « musicien » : amener l’écoute à un niveau de conscience supérieur.
Cette éducation de l’oreille est la base. Sans elle, rien n’est possible.
Cela se travaille, cela se forme, cela s’apprend donc… cela s’enseigne. Bonne nouvelle ! c’est un apprentissage relativement technique, qui ne demande rien d’autre qu’une immense quantité de travail et le guide d’un professeur exigeant, patient et motivé.
Cela prend par contre du temps, c’est difficile, le processus est lent, complexe, intime, souvent laborieux, mais c’est possible. Les résultats ne sont jamais immédiats, les choses se débloquent sur le long terme. Il faut accepter cette lenteur qui va, il est vrai, contre toutes les attentes de résultats instantanés que nous impose le dictat de la société moderne. Redonner le temps au temps...
Former l’écoute, c’est le premier pas.
Ressentir :
La deuxième étape consiste à devenir un être émotionnellement sensible à cette écoute nouvellement affûtée.
Après avoir mis le doigt sur un « évènement » acoustique, aussi infime soit-il, il faut donc amener l’étudiant à ressentir ce que ce phénomène recèle de beauté, et ce que cette beauté peut lui amener d’émotion et donc de plaisir.
Arrive alors une clé essentielle et incontournable de l’éducation à l’art en général et à la musique en particulier : l’émerveillement.
S’émerveiller, c’est poser sur toute chose le regard frais, neuf, intense, admiratif, étonné et jouissif que pose un enfant sur une expérience nouvelle. Le plaisir immense de la découverte, ces hormones du bonheur qui bouleversent notre corps à chaque fois qu’il y a une « première fois ». La première fois qu’un enfant voit la mer, woaw ! … la première fois qu’il voit un tracteur woaw ! … un premier son de saxophone woaw ! … il ne faut jamais perdre cette capacité à « s’émerveiller ». Littéralement : s’étonner et admirer. Plus poétiquement : voir les merveilles que la musique recèle.
Surtout, il ne faut jamais perdre cette capacité à s’émerveiller devant les belles choses, même si on les voit ou les entend pour la cent millième fois ! Il faut continuer de rester bouche bée lorsque l’on ouvre sa boite de saxophone et que l’on découvre cette forme voluptueuse, cette mécanique complexe, ce brillant incomparable ;-) Il faut conserver ce regard ébloui du gamin qui lève le couvercle pour la première fois et n’en croit tout simplement pas ses yeux tellement « c’est boooooooooooooô ! ».
Etant motard, je suis témoin quasiment tous les jours de cet émerveillement naïf mais tellement précieux, lorsqu’un petit tenant sa maman par la main, pointe un doigt vers moi pour montrer « la moto ! ».
L'émerveillement, c’est peut-être ça : avoir devant soi plus à aimer qu'à comprendre (André Bruyère).
Alors voilà, lorsque l’étudiant est en mesure d’entendre, le professeur attentif doit l’amener à tirer un plaisir de ce qu’il perçoit, et de ce plaisir, tirer un émerveillement sans cesse renouvelé. Mon ami Matjaz Drevensek dira que c’est simplement ça « rester jeune », et il aura raison.
Dès lors, l’étudiant entendra une légère fluctuation de tempo et ressentira le délicieux effet d’ivresse que cela lui procure. Il entendra une tension mélodique ou harmonique et ressentira son corps qui se contracte avant de savourer une détente salutaire. Il entendra un motif qui se répète avec insistance et se sentira renforcé par une pulsation bestiale. Il entendra un quart de seconde de silence, et sentira le monde infiniment poétique qui s’ouvre dans ce micro-espace de pureté.
Entendre puis ressentir. La base, en restant actif, encore et toujours.
J’insulte souvent affectueusement ( ! …) mes étudiants en les traitant de petits vieux et en comparant ma classe à une maison de retraite. Jouer blasé, jouer par habitude, la routine... Quelle horreur ! Il faut générer la passion, l’envie, l’énergie, l’enthousiasme ! Tous les jours, toutes les heures, à chaque seconde ! Car entendre et ressentir demande une attention de tous les instants. C’est épuisant. Mais c’est le prix à payer pour espérer à terme maîtriser son art.
Et oui, encore une fois, cela se transmet, cela s’éduque, cela s’entretient, cela se partage. Provoquer les émotions, aller cherche l’intime. Bien souvent (ce qui suit va paraître caricatural mais mes 25 années d’enseignement aux étudiants avancés en témoignent), bien souvent donc, les filles pleurent puis sortent de la salle. Les garçons quant à eux se mettent en colère et claquent la porte. Dans les deux cas, cette manifestation violente d’un conflit intérieur est très souvent salvateur.
Les larmes ou la colère sont souvent les premiers signes visibles du processus artistique : l’extériorisation. Les deux sortent littéralement du corps de celui ou celle qui ressent (enfin !) une émotion musicale forte.
Ce quasi « rite initiatique » est un moment puissant dans la vie des apprentis-artistes car il implique la mise à nu, l’acceptation de soi, et aussi une certaine forme d’abandon.
Quand il se déclenche, c’est bien souvent le moment de l’apprentissage que je préfère (sans sadisme aucun soyons d’accord !) . La vulnérabilité de ces jeunes a toujours à ce moment précis quelque chose d’extrêmement touchant. C’est également un instant très subtil pédagogiquement car il est alors temps de leur faire comprendre que la sensation de faiblesse et de perméabilité qu’ils éprouvent, est aussi leur meilleure arme pour exprimer leur art avec assurance et brio.
Extérioriser : c’est d’abord être.
Ne pas jouer une émotion, mais devenir cette émotion.
Ne pas jouer comme si on était triste, mais devenir triste, de l’intérieur, véritablement. Ebranler son être jusqu’à en chialer si il le faut. Car c’est dans le vécu authentique que vont naître les différentes expressions de « la musicalité ».
L’important n’est jamais la force de l’émotion que l’on exprime mais la force avec laquelle on exprime cette émotion (relisez-là 2 fois celle-là car elle est importante !). J’entends par là que l’on peut et doit exprimer la faiblesse (par exemple) avec force. On doit exprimer l’humilité avec force. La vulnérabilité, le doute, la tranquillité, la flânerie, l’absence même, avec force ! Cela paraît naturel (et est véritablement plus facile techniquement et mentalement) d’exprimer les émotions du type rage, orgueil, violence, puissance… avec force. Mais extérioriser, c’est montrer ce qui se passe à l’intérieur, tout ce qui se passe ! Pas seulement les émotions évidentes et caricaturales. C’est en ce sens que le point numéro 1 (l’éducation de l’oreille) est primordial.
Extérioriser est une démarche véritablement personnelle car l’artiste doit trouver voire décider, ce qu’il choisit d’extérioriser. Une grande partie de l’identité artistique se joue à ce moment précis. Que décidons-nous de laisser filtrer à l’extérieur ? Que décidons-nous de laisser voir de notre monde intérieur ? Quelles émotions méritent d’être incarnées et soulignées ? De quoi nous sentons-nous si fier que l’on se sente valorisé en le montrant ? Que sentons-nous de si beau en nous que cela vaille la peine d’être révélé aux autres ?
Et de manière plus contextuelle : quelles émotions l’oeuvre que nous interprétons demande à valoriser ? Dans quelles proportions au regard des différents styles pratiqués ? Avec quel équilibre entre notre ego et la puissance intrinsèque de cette oeuvre ?
Extérioriser demande donc également un apprentissage, sur le plan personnel avant tout, mais aussi plus pragmatiquement sur le plan stylistique.
Aider l’étudiant à s’extérioriser dans le respect de son identité naturelle est véritablement le meilleur moyen de l’amener à révéler sa musicalité avec justesse. On ne fait pas d’un timide un tueur. Par contre, on peut amener un timide à assumer pleinement ce qui le caractérise, et à devenir si fier de ce qu’il est qu’il revendiquera sa timidité comme une touchante marque de fabrique.
On ne fait pas d’un guerrier un agneau. Par contre, on peut amener un guerrier à utiliser sa force de manière positive, cultiver un devoir de protection, pour aider les autres à se renforcer et ainsi trouver une forme de paix.
Entendre-ressentir-extérioriser… et ici se dévoile le dernier point de l’apprentissage à « la musicalité »… communiquer.
Communiquer :
De la capacité à entendre va naître une compétence et donc une confiance en soi.
De la capacité à ressentir va naître une sensibilité et donc une estime de soi.
De la capacité à s'exprimer va naître une identité et une particularité qui amène les autres à soi.
C'est déjà beaucoup d'arriver à ce stade de « la musicalité ».
Mais communiquer, c’est rayonner. C’est la définition qu’attendait avec justesse mon enseignant d’Aïkido à la question « qu’est-ce qu’un maître ? ». Réponse : « c’est quelqu’un qui rayonne ».
Et sur scène, il s’agit bien de cela.
C’est sans nul doute ici que le processus atteint certaines limites.
- Rendre l’écoute fine et intuitive, c'est possible.
- Traduire ces découvertes en expériences sensorielles jouissives, c'est possible.
- Incarner et exprimer ces émotions, à force de travail, c'est possible avec plus ou moins de talent.
- Communiquer ces plaisirs à d’autres par le seul truchement de l’instrument, voir des opportunités de plaisir là où d’autres ne voient que des rythmes et notes, réagir et être créatif en temps réel en s’adaptant perpétuellement aux multiples rebondissements que l’art génère, ne plus jouer mais être, créer de nouvelles émotions,
… ça c'est difficile à transmettre :-(
La communication, non verbale j'entends, est ce rayonnement qui touche l'âme de ceux qui écoutent. C'est un talent musical que l'on peut révéler, amplifier, éduquer et cultiver si il est déjà présent… mais que l'on ne peut pas, à ma connaissance, créer de toutes pièces.
Néanmoins, si les trois premiers points (écoute-sensibilité-expression) ont été transmis correctement, je pense que l'on peut dire sans rougir que l'on a désormais à faire à « un musicien ».
Nous autres enseignants sommes souvent pris à la gorge par la brièveté des cours. Il y a tellement à faire sur le plan technique, que ce travail de fond est rarement prodigué, en tous cas rarement à titre individuel. Et c’est là que le bas blesse. Cette éducation à la sensibilité musicale peut être collective si l’objectif est de former des mélomanes, ceux qui reçoivent la musique. Mais si le but est de construire des musiciens de scène, ceux qui donnent, ceux qui créent, alors cette sensibilité doit être individualisée.
Je me permets de l’affirmer, c’est possible pour tous, et il n’est jamais trop tard.
Le privilège dont je bénéficie au Conservatoire de Lyon, est que la plupart des étudiants m’arrivent déjà forts sur le plan technique. Je peux donc me payer le luxe d’axer mon accompagnement sur ce processus d’écoute, d’éducation à la musique et d’éveil à l’identité artistique.
Ensemble, nous passons donc des heures à chercher (et à trouver dans le meilleur des cas) ce satané SON !
POUR CONCLURE :
Quand la recherche du son s’arrête-t-elle ?
… Pour l’artiste, jamais bien entendu !
Nous évoluons, nous nous façonnons une identité propre qui est en constante évolution. Alors ce son qui est nous, ce son reflet de notre âme, se métamorphose en même temps que notre corps et notre esprit. Il se remplit ou se vide, se renforce ou s’affaiblit, s’égaie ou s’attriste au fil des évènements et émotions qui jalonnent notre vie. Pour les plus malchanceux d’entre nous, il prendra même quelques rides, perdra ses cheveux et arborera une longue barbe blanche :-)))…
… Pour le professeur par contre, il arrive qu’un étudiant très avancé, atteigne durant ses études une sorte de « phase », un moment clair durant lequel sa compétence technique, son identité artistique du moment et le répertoire travaillé s’équilibrent parfaitement.
Alors arrive inexorablement un des moments forts de mon vécu d’enseignant : ce moment rare où je sens qu’il serait hypocrite de chercher encore et où je me fais un devoir, une joie immense à lâcher cette phrase ô combien jouissive : «… ta formation est terminée, je n’ai plus rien à t’apprendre... ». Mais qu’est-ce que j’aime ça !!! Cet alignement des planètes arrive peu, je dois l’avouer, mais c’est à chaque fois un moment d’intense émotion pour le modeste professeur que je suis, et, je le sens bien, pour le courageux élève qui me fait face.
Je ne suis pas de ces professeurs pointilleux, coureurs de fond, qui sont capables de débuter un élève à 8 ans et de l’amener 12 ans plus tard à intégrer le CNSM de Paris (amitiés Philippe Lecocq). L’accomplissement en tant qu’enseignant se passe donc pour moi quand le son et l’étudiant ne font qu’un. Quand je peux dire en écoutant ce jeune adulte arrivé quasi muet dans ma classe 3 ans plus tôt, « ça y est, il/elle communique ! ». J’en chialerais des fois tellement c’est beau. Après, les années passent et le son prend sa place petit à petit.
Je suis toujours ému (et flatté, l’ego ça ne s’efface pas comme ça… ) quand d’anciens étudiants reviennent me voir juste pour que l’on vérifie ensemble leur « bonne santé sonore ». Certains entament des carrières bien plus prometteuses que la mienne, mais malgré tout ils font confiance à ces vieilles oreilles pour vérifier, encore et toujours, pureté, stabilité, homogénéité, interne, externe, projection, écouter, ressentir, extérioriser, communiquer, pureté, stabilité, homogénéité, interne, externe, projection, écouter, ressentir, extérioriser, communiquer, pureté, stabilité, homogénéité, interne, externe, projection, écouter, ressentir, extérioriser, communiquer...