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Musique et Écologie

  • Jean-Denis MICHAT
  • 12 juil.
  • 6 min de lecture
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J’aime contempler la nature. Je ne suis pas un activiste. Je ne suis pas un écolo radical. Je protège simplement ce que j’aime, du mieux que je peux, comme tout un chacun.


Transmettre la conscience écologique n’est pas mon job en tant qu’enseignant.

Les discussions de cours peuvent dépasser le cadre musical bien sûr, tant tout est imbriqué dans nos vies. Mais je me risque rarement aux débats touchant la politique, l’écologie ou le féminisme. Sauf quand les questions viennent directement des étudiant-e-s et/ou que cela a une interaction connue avec notre métier et notre statut d’artiste.


En ce début d’été, les vieux réflexes refont surface. Bien qu’ayant officiellement mis fin à ma carrière, il y a 5 ans, je reçois encore des invitations d’un peu partout dans le monde. Cool, c’est bon pour l’ego ! Mais je délivre toujours la même réponse : « Désolé, je ne prends désormais l’avion qu’en cas d’absolue nécessité »... Avec souvent la même incrédulité : « Mais pourquoi ? ».

Bin... L’empreinte carbone, le réchauffement climatique, la biodiversité, tout ça…


Comme il fait chaud et que mes étudiants pointent l’absence de climatisation, j’ai décidé de pondre ici un petit texte sur la musique en lien avec l’écologie. Il ne s’agit pas de donner des leçons. L’action, ou pas, relève d’un choix personnel. Je ne reprocherai à personne d’avoir une autre vision que la mienne. De plus, j'ai beau me limiter, je suis un Européen qui vit richement, a consommé et consomme encore beaucoup, donc in fine pollue beaucoup.


Nous sommes tous le pollueur inconscient pour l’un et l’écolo radical pour l’autre. Tout est relatif. Je crois que l’important, c’est de participer, à la mesure de ses possibilités et de ses convictions.

En écrivant ce texte, je réalise d’ailleurs que ma conscience écologique est très auto-centrée. Je suis éco-motivé, d’abord parce que j’en tire de réels bénéfices. Raison de plus pour ne pas fanfaronner.


Afin d’éviter toute prose moralisatrice, je vais donc me contenter de témoigner en valorisant le positif de ma démarche en tant que musicien, seul domaine dans lequel je peux prétendre avoir quelques compétences. Voici une liste, non-exhaustive, de mes petits aménagements de vie et de leurs avantageuses conséquences « musicales ».


1/Le vélo :

Plus de moto. Je vais désormais travailler au conservatoire à vélo.

1 h 15 aller. 1 h 15 retour (j’habite à 20 kilomètres du centre-ville).

Le vélo offre un rapport au temps différent. Le vélo permet aux idées de vagabonder, assez rapide pour s’évader, assez lent pour flâner en chemin. L’esprit y trouve un terrain de créativité idéal. Il s’en passe des choses dans la tête quand on pédale (je n’écoute pas de musique quand je roule). Ces quelques lignes, la plupart de mes textes, certaines compositions y sont nées, y ont évolué, s’y sont transformées.

Je pédale, le mouvement est là, immuable (tranquille le tempo…), la périodicité, tout est propice à la maîtrise du temps. C’est un peu comme si je m’offrais 2 heures de métronome avec nulle autre tâche que de remplir ce temps pulsé (et accessoirement de ne pas se prendre une bagnole quand même). J’affûte la pleine conscience de mes rythmes, de mes carrures, des mesures régulières et irrégulières au gré des virages, de la circulation, des freinages d’urgence, etc. Le monde s’organise en rapport avec ma fréquence de pédalage. Je « vois » alors mon environnement se construire rythmiquement comme une partition millimétrée de Cage, « once upon a time, a time, a once upon a time, in the weeeeeeest. ».

En pédalant toute l’année quelle que soit la météo, je me suis même reconnecté au rythme des saisons, ajoutant ainsi la « grande forme » à ma préhension du temps qui s’écoule.

Conscience temporelle optimisée, renforcée et épurée, le vélo est le bureau parfait pour les créateurs rythmiciens.


2/Le portable

Je n’ai pas de téléphone portable. Mais c’est un leurre, car j’ai une tablette et je suis quasi tout le temps connecté dès que le wifi le permet.

Par contre on ne peut pas me téléphoner, on ne peut pas m’envoyer de sms et surtout, c’est moi qui choisis quand je souhaite discuter ou pas. Le fait de vivre sans smartphone préserve cette liberté inestimable. C’est en quelques sortes mon « droit à la déconnexion » en mode permanent. J’ai le contrôle de mon silence. Rien ne sonne, rien ne vibre, rien ne clignote, pas de notifications, pas d’immédiateté, pas d’urgence. La page de ma vie est blanche dès que je le souhaite. Je vis lentement. Intensément (ça n'empêche pas), mais calmement. Pour un compositeur, cela permet de ne pas systématiquement incarner le stress de la vie moderne, son anxiété chronique, sa noirceur voire sa laideur dans son art. Il m’arrive d’avoir envie d’écrire de la musique qui fait du bien...

Musicalement, l’absence de concentré de technologie d’un téléphone portable m’oblige aussi à conserver les anciens modes d’appropriation artistique.

Je me pose donc encore dans mon canapé pour écouter de la musique dans mon salon, sur mes vieilles B&W CDM-7. Je choisis mes CDs et lis les jaquettes afin de rafraîchir mes connaissances culturelles. Je ne « swipe » donc pas, je promène mon doigt sur la tranche des disques alignés sur mes étagères, et chaque nom qui défile sous mon index, interprète, orchestre, label, œuvre, compositeur, sont autant de stimulants qui préviennent mon Alzheimer latent.

Notez que je regarde aussi les films sur vidéoprojecteur, en grand écran pour m’immerger pleinement dans le 7e art, goûter les mises en scène, les lumières, les cadrages et la richesse des bande-son. Bref, je vis en grand écran et en full stéréo. 6 pouces, c’est la taille de ma télécommande, rien de plus.


3/Le jeûne

Depuis 25 ans, je jeûne au moins 2 fois par an : 5 ou 7 jours sans manger en ne buvant que de l’eau. Avec l’habitude, mon corps est rôdé. Je peux travailler, vivre à 100 %, ma démarche interne est invisible pour mon entourage. Les bénéfices du jeûne sont un vrai plaisir dont je ne me lasse pas. Se déconnecter des repas qui ponctuent habituellement nos journées, c’est symboliquement se déconnecter de toutes les choses matérielles. La spiritualité reprend alors ses droits, les idées sont plus claires, plus vives, plus originales, plus personnelles. Je deviens plus clairvoyant et également plus positif. Je ressens souvent la nécessité du jeûne quand mon travail de composition ne décolle pas et que ma production est morose.

Les religions (dont je ne suis pourtant pas adepte) l’ont compris depuis longtemps : le Ramadan, Yom Kippour, le Carême, autant d’invitations à la spiritualité. Jeûner, c’est quasi la garantie de retrouver une inspiration saine et pertinente, tant dans mes activités de compositeur que mes activités de saxophoniste.

À cela, s’ajoute un corps qui s’assèche et gagne en performance. La reprise progressive de l’alimentation à la sortie du jeûne révèle des goûts et des saveurs qui apportent de sacrées couleurs à la grisaille du quotidien. Le palais est affûté, les papilles aussi, tout le corps est éveillé et demandeur… la sonorité, la sensibilité, l’écoute, la respiration, mon saxophone y trouve donc aussi son compte !


4/Plus d’avion

J’aime regarder les paysages, les grands espaces. J’aime contempler le monde, presque passivement. Le sentir, l’écouter, le laisser infuser en moi. Mon plaisir ne consiste pas vraiment à l’observer comme d’autres amoureux de nature peuvent l’épier et souhaiter le connaître en détail. Des mystiques diraient que je me laisse devenir un avec l’univers. La vérité est que ça se termine souvent en sieste, mais peu importe, l’osmose est bien souvent au rendez-vous.

Comme dans les rapports humains, c’est en aimant que l’autre s’ouvre et que sa beauté se révèle. Qui fait l’effort de prendre soin de la nature au quotidien apprend à la connaître, à la respecter et à l’aimer.

Alors protéger son environnement, cela se résume in fine à aimer la vie, dans son ensemble... voir plus simplement à aimer tout court. Et on ne peut pas détruire ce que l’on aime à moins d’être un dangereux psychopathe ce qui, à priori, n’est pas (encore) mon cas.

Il arriva un moment où voyageant beaucoup, j’avais la conscience (car il s’agit de faits et non de sensations) d’abîmer ce que je chérissais. Enseigner aux 4 coins de la planète l’amour du beau son, l’écoute de l’autre, éduquer à la beauté, au naturel des respirations, à la fluidité des lignes, l’équilibre des harmonies, les fluctuations des tempi, l’importance de la transmission, la profondeur de l’inspiration, la pureté de l’esprit, l’héritage culturel... et participer activement à une sur-consommation galopante et destructrice de ma planète n’avait plus de sens.

Dans mon empreinte carbone, donnée objective de notre taux de pollution individuel, la part qu’avait prise mes déplacements en avion était devenue gargantuesque. Cela frisait l’absurde au regard de mon discours amoureux autour de la musique et de celles et ceux qui la font.

Ce n’était moralement plus soutenable.


La décision a été radicale. Pas douloureuse au début, un peu plus aujourd’hui, juste parce que mes amis internationaux me manquent. Vraiment. J’étudie actuellement les possibilités de renouer certains déplacements avec le train. Si j’y parviens, il semble évident que j’aurai beauuuuucoup de temps pour composer !:))))

Mais je dois tenir, parce que j’aime l’humanité (la nature est résiliente, elle se relèvera toujours), parce que j’aime cette planète, parce que je souhaite que mes enfants puissent y vivre sereinement, et bien sûr parce que j’ai la chance et le privilège d’avoir le choix.


 
 
 

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