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CONCOURS

CONCOURS...

J’ai passé très peu de concours et le seul que j’ai remporté n’était qu’un concours national de niveau intermédiaire. A ma décharge, les prix qui auraient dû aiguiser ma motivation n’étaient pas là. A 16 ans, on ne rêve pas d’un saxophone supplémentaire ou d’une nouvelle ligature, pas même d’une somme conséquente en monnaie sonnante et trébuchante. Non, à 16 ans on désire la lumière, la reconnaissance, le feu des projecteurs, on veut crier voire hurler qui l'on est. On veut des regards admiratifs, des oreilles qui se tendent, des bouches qui se taisent et des mains qui claquent. Par défaut, les plus beaux cadeaux dont je me souvienne sont du coup les nombreux posters que j'avais ramenés pour tapisser ma chambre ! Je me rappelle d'ailleurs avoir souris devant ce poster japonais titrant présomptueusement « Yanagisawa, l'autre grand du saxophone ! ». Je ne savais pas encore que je tomberai amoureux de cette marque 10 ans plus tard ;-)...

Arriver en finale pour re-jouer Tomasi avec piano n’avait somme toute que peu d’intérêt. Ces concours ancienne formule ressemblaient encore beaucoup trop à de simples examens de conservatoires. Un événement important a tout changé quant à l’attrait même des compétitions en saxophone lorsque les finales ont commencé à être avec orchestre. Plus encore lorsque les prix ont commencé à comporter des engagements avec des orchestres professionnels. Enfin le bout du tunnel. Enfin de quoi motiver les artistes et pas simplement faire travailler les étudiants. Mais ce type de compétition est apparue (Dinant pour citer la plus prestigieuse) alors même que je passais tranquillement de l’autre côté de la table...celui des jurés bedonnants et légèrement dégarnis.

Paradoxalement, c’est aujourd’hui, alors même que les limites d’age ne me permettent plus aucun espoir, que je tenterais très volontiers ma chance ! Je plaisante même quelquefois en évoquant un éventuel « all-star game » avec mes vénérés collègues, au mieux un « tournoi des légendes », au pire un « loto des anciens »;-)... Mais plaisanterie mise à part, le besoin de compétition que j’assumerais aujourd’hui alors que je ne l’aurais pas fait hier est symptomatique d'une évolution dans l'état d'esprit qui anime désormais les jeunes compétiteurs. L'intérêt n'est plus de se mesurer aux autres sur une base de critères similaires mais bien de revendiquer et de clamer haut et fort leurs propres choix esthétiques. La confrontation directe avec les autres candidats n'est plus l'objectif premier, le challenge est désormais personnel. Seule compte la recherche de différenciation artistique et identitaire qui est sensée les mener jusqu'en finale. Et force est d’avouer que cette maturité se trouve chez les jeunes artistes de plus en plus tôt. J’y vois un signe de bonne santé dans notre communauté saxophonistique, un signe de prise d’indépendance face à la pensée unique incompatible avec toute forme d’art, un signe de culture et de force vive.

J’y vois aussi le résultat d’une intelligence et d’une ouverture pédagogique de la part des générations précédentes. Voir éclore et s'affirmer la créativité des jeunes est le véritable cadeau des professeurs, et donc des jurés que nous sommes. C’est ce cri identitaire que j’essaye de transmettre à mes étudiants. A mon sens, l’utilisation des concours comme outil d'épanouissement, de partage et de revendication d'un style personnel peut seule redorer le blason des « compétitions en musique » ; appellation qui , sortie de ce respectable projet, sonne bien comme une ineptie, une dévaluation de la notion d’art et de la pratique musicale... réduite à un vulgaire concours de celui qui pisse le plus loin.

J’assiste régulièrement à de beaux moments de musique alors même que je suis seulement payé pour attribuer des notes. Je remercie encore Joonatan Rautiola de nous avoir invité à rejoindre son intimité lors de son Albright à Dinant 2012. Je me délecte encore du Franck Martin de Simon Diricq lors de la finale. Il y eu le mouvement lent de Larsson de Nicolas Arsenjevic à Nochta, la poésie de Nicola Peretto, il y eu les premières notes de cette japonaise inconnue commençant son Bach, et tant d’autres que je ne peux les citer tous. Ces petits ou grands moments d’émotion musicale existent bel et bien lors des concours. Ils peuvent durer un tour entier, un mouvement ou seulement quelques notes, mais ils sont là, et justifient à eux seuls les efforts et l’attention de nous autres professionnels bienveillants.

On pourra objecter que le niveau de la jeune génération n’a pas changé et que c’est uniquement mon regard qui ne voit pas les mêmes choses qu’avant. Mais je ne crois pas. Les talents qui émergent aujourd’hui ne sont sans doute pas plus doués que ceux d’hier, mais c’est leur appétit qui a changé. De plus en plus d’étudiants émettent la volonté de devenir concertistes et non professeurs. Cette ambition paraissait irréalisable pour ma génération, elle ne l’est désormais plus. Leurs projets artistiques ont monté d’un cran et plus important que tout, leurs rêves et leur soif de reconnaissance dans le grand monde de la musique et des arts paraît aujourd’hui accessible et réalisable, les concours laissent entrevoir un avenir meilleur...et cela change tout !

Paradoxalement, le niveau des premiers tours n’a guère évolué. Il s’agit toujours la plupart du temps d’un contrôle technique qui vise à valider (ou pas) la capacité du candidat à assurer et assumer les tours suivants. A tord ou à raison, les qualités musicales ne rattrapent jamais des défaillances techniques à ce stade précoce de la compétition. En clair, montrez déjà que vous maîtrisez l’outil correctement, après on discute. Je suis d’ailleurs toujours surpris par le nombre de fautes de notes qui jalonnent ces tours éliminatoires. Un peu comme si certains prétendaient au titre de grand comédien en faisant une faute de français à chaque phrase. Ce tour-là nous rappelle sans cesse l’inéluctable rengaine qui guide le quotidien de l’instrumentiste de haut niveau : les bases, revoir les bases, sans cesse.

Bref, une fois le ménage fait parmi les candidats qui sont bons pour le service (en clair ceux qui arrivent à déjà simplement jouer le texte), arrive le deuxième tour. Et c’est là que le niveau a fait un pas décisif. Il devient de plus en plus évident que ce fameux deuxième tour est une épreuve de musique de chambre. Nombreux sont les candidats qui postulent désormais avec leur propre accompagnateur, les plus avancés évoluant même dans une relation de sonate déjà quasi professionnelle. C’est souvent lors de ce tour que l’on peut goûter les plus beaux moments de musique. On y voit toute l’intelligence du candidat, toute sa finesse de perception dans sa relation à l’autre, sa fragilité aussi tant l’épreuve de musique de chambre est délicate et exigeante. Les personnalités s’y expriment, s’y affirment, s’y révèlent même parfois, dans leurs bons et leurs mauvais côtés. J’ai une vraie affection pour ce que je reçois comme un authentique « concert du milieu ». En tant que juré, ce tour-là a sans aucun doute ma préférence.

Les écoles nationales y sont représentées avec force car les candidats se produisent souvent avec « leur » pianiste, et l'on peut alors goûter pleinement ce qui différencie un duo russe, d'un duo français d'un duo japonais. On goûte alors ce qui les sépare autant que ce qui les rassemble, et de cette joute internationale fraternelle se dégage bien souvent une authentique et pacifique beauté.

Ce sont toujours des moments forts et émouvants que d'observer ces jeunes se battre avec autant de fièvre et de concentration. Surtout lorsque l'on sait la somme de travail considérable que cela représente en amont : bien souvent une année entière d'abnégation pour atteindre ce niveau. C'est dire si la préparation d'un concours international est en soi un enseignement, impliquant l'apprentissage du long terme, la hauteur de vue et la constance. J'ai vraiment le plus grand respect et la plus tendre admiration pour ces jeunes artistes qui défilent devant nous. J'ai même parfois un peu honte de la facilité avec laquelle nous distribuons les bons et les mauvais points, comme si nous nous placions à des années lumières au-dessus d'eux, alors que bien souvent, nous ne sommes ni plus talentueux ni plus experts techniquement...........................................mais juste un peu plus vieux !

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